Je ne me sens pas qualifié pour parler du fond (chacun a sa sensibilité ; chacun apprécie… ce qu’il apprécie) ; je m’en tiendrai à la forme.
Sache seulement (et je ne suis pas le seul à exprimer cette idée) que si on consacre du temps à répondre à ta question, c’est qu’au moins, on trouve intéressant ce que tu écris.
Tu écris un poème, et tu l’écris en vers. Tu optes donc pour une forme à contraintes (rythme, rime…). On peut toujours choisir de se libérer des contraintes (je donnerai des exemples plus bas) ; mais encore faut-il savoir de quelles contraintes on va se libérer. Savoir, en d’autres termes, quelles sont les contraintes de référence.
Il n’existe pas, c’est entendu, de référence unique, de système unique de contraintes. Mais vers la seconde moitié du seizième siècle (« Enfin, Malherbe vint » se réjouit Boileau dans son Art Poétique), un ensemble de règles s’est dégagé de la pratique des poètes les plus appréciés à l’époque, a prévalu sur les autres règles, et s’est plus ou moins imposé (plutôt plus que moins) à l’ensemble des versificateurs jusque vers la fin du dix-neuvième siècle. Ce sont les règles de la poésie qu’on appelle aujourd’hui « classique », - et c’est par rapport à ces règles que je vais commenter, sur la forme, ton poème.
Pour ce qui est du rythme, tu semble avoir choisi l’alexandrin (vers de douze syllabes). Tes vers sont loin d’avoir tous douze syllabes : il ne faut pas oublier de compter les « e » muets, qui se prononcent toujours en poésie classique, sauf en fin de vers (à la rime) ou s’il sont élidés (en fin de mot, et suivis immédiatement par une voyelle – qui commence le mot suivant). Exemples :
« Un ciel tumultueux hante mon âme meurtrie » est un vers de treize syllabes : « âme » compte pour deux syllabes.
« Devant l’inéluctable, je dois capituler… » est également un vers de treize syllabes : « inéluctable » compte pour cinq syllabes. Tu aurais pu résoudre le petit problème que te posait la syllabe finale d’ « inéluctable » en écrivant par exemple :
« Devant l’inéluctable, il faut capituler… » ; là, le « e » est élidé par le « i » de « il », et « (inélucta)ble il » se lit comme une seule syllabe : « blil ».
Le deuxième vers, outre qu’il comporte lui aussi treize syllabes (je suppose que tu prononces « charges » en une seule syllabe quand le mot, dans ton vers, compte pour deux), comporte une autre entorse aux règles de la poésie classique. En poésie classique, un e (muet) en hiatus en fin de mot, à l’intérieur du vers, soit obligatoirement être élidé. Ce n’est pas le cas du « e » de « déchaînées ».
Au lieu de « Tempêtes déchaînées, lourdes charges nébuleuses, », tu aurais pu écrire :
« Orages déchaînés, pesanteurs nébuleuses », ou
« Tempête déchaînée, épaisseurs nébuleuses » ; deux vers qui respectent ton idée, mais qui la « logent» à l’intérieur de douze syllabes, sans « e » muet perturbateur…
Ton troisième vers a bien douze syllabes. Je passe sur « m’empêche » que tu aurais dû orthographier « m’empêchent » (le sujet est au pluriel) pour en arriver directement à la rime.
« esprit » ne rime pas, hélas, avec « meurtrie ». On distingue, en poésie classique, deux sortes de rimes : les rimes féminines (terminées par un « e » muet) et les rimes masculines (non terminées par un « e » muet). Et on ne peut pas « accoler » une rime féminine avec une rime masculine ! Pire : on doit, tout au long du poème, alterner rimes masculines et rimes féminines (vérifie dans tous les poètes de Malherbe à Victor Hugo : tu verras…). Vers la fin du dix-neuvième siècle, on abandonnera parfois (mais toujours pour des raisons euphoniques) cette règle ; Verlaine écrit, avec des rimes uniquement féminines pour suggérer avec le son ce qu’il exprime avec les mots :
« Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère,
Un frisson d’eau sur de la mousse… »
Mais revenons à tes vers. « Meurtrie », donc, ne rime pas avec « esprit », il faudrait alterner rimes masculines et rimes féminines, - dans ton quatrième vers (treize syllabes, encore !), le « e » de « galeries » n’est pas élidé… Bref, en respectant ce que tu as exprimé comme fond (sauf le ciel qui hante que je n’aime pas trop ; tu vois un ciel « hanter », toi ?), je te suggère pour ton premier quatrain la forme suivante, - une des formes possibles respectant les règles de la poésie classique (mais ce n’est bien sûr qu’une des formes possibles : tu aurais certainement fait mieux, toi-même, si tu avais connu ces fameuses règles) :
« Sous un ciel noir et lourd peine mon cœur meurtri.
Orages déchaînés, pesanteurs nébuleuses,
Empêchent d’accéder aux sommets mon esprit,
Qui demeure captif de grottes ténébreuses.»
Si ce que j’écris t’intéresse, je t’exposerai d’autres règles auxquelles tu contreviens dans la suite de ton poème. Sinon, et en attentant, je m’arrête là.
Amicalement.